extrait du livre La Bible Érotique
Par André Moreau
La plupart des gens possèdent de l’amour une expérience pauvre, limitée, ponctuée d’accidents de parcours, d’échecs, d’illusions et de désillusions. Remédier à cette façon de voir nécessite une éducation qui permette de vivre sans posséder, de connaître la joie du partage, d’avoir accès à plusieurs corps amoureux et d’éprouver une harmonie sans crise.
Voilà déjà un programme qui dépasse vastement les capacités de l’homme et de la femme moyens. Pourtant, si chacun acceptait de vivre en harmonie avec ses tendances, sans céder au chantage de la famille et des institutions, une révolution serait possible en ce domaine.
On devine ici qu’il ne s’agit plus simplement de plaire, d’accrocher la personne qui nous semble hautement désirable, mais d’apprendre à vivre en symbiose avec les amis de son essence tout en respectant les rapports privilégiés qui permettent de rejoindre certaines personnes de façon plus profonde.
La recherche du plaisir passe par l’émancipation de la volonté, la libre expression de ses phantasmes et une ouverture bienveillante à autrui.
À cause de notre constitution physique, psychologique et sociale, l’expérience amoureuse commence rarement par un trio. Il est rare que trois personnes s’entendent assez bien pour décider de vivre ensemble et de tout partager.
Il s’agit de savoir cependant s’il est toujours possible de former un couple en restant ouvert et si l’idée d’un partnership amoureux rejoint vraiment les gens dans leur psychologie.
Les gens en amour sont rarement généreux envers ceux qui se situent en dehors de leur alcôve. C’est comme si, pour la plupart, le couple consistait dans la permission qu’on se donne de s’exclure de la société. Il en va ainsi parce que les gens, étant naturellement inquiets et instables, s’accrochent à la personne rencontrée comme à une bouée de sauvetage sur la mer démontée de leurs émotions. En effet, ils sont assez rares ceux qui, formant un couple, sont capables de garder à coucher un tiers sans avoir le sentiment que celui-ci vient briser leur intimité.
C’est ici que tout se joue. Il est naturel de rechercher l’intimité avec une personne tendrement aimée, mais c’est un manque d’intelligence que de rendre cette intimité exclusive quand nous savons très bien que le fait d’être en amour ne manque pas d’attirer d’autres personnes qui voudront partager cette expérience avec nous. De la même façon que le papillon est attiré par la lumière, les gens qui rencontrent des amoureux ont le goût de les embrasser, de les féliciter, de leur faire la fête. De là à se mêler à leurs jeux sexuels, il n’y a qu’un pas.
En fait, ce que j’enseigne se résume à une grande souplesse. L’homme qui n’est pas capable d’aller reconduire sa femme chez son amant ou la femme qui n’est pas capable d’inviter à dîner la maîtresse de son mari ne me comprendront pas. Ils sont encore bien loin de pouvoir prendre le nouveau venu dans leurs bras.
Mais quand on aime quelqu’un, n’est-il pas normal qu’on cherche à lui faire plaisir ? Si mon conjoint est épaté par un homme ou une femme, pourquoi ne considérerais-je pas comme une forme que va prendre mon amour de lui offrir cette personne, ou en tout cas de me montrer solidaire de son désir ?
Ce manque de générosité que je déplore si souvent chez les couples est dû à une forme d’insécurité qui ruine d’ailleurs toutes les chances des gens isolés de rencontrer quelqu’un qui leur conviendra.
Les gens sont si seuls, si incapables de se tirer d’affaire par eux-mêmes, qu’ils se jettent sur le premier venu comme un chien sur un os. Il n’est pas question qu’ils le partagent avec un autre et encore moins qu’on le leur enlève. On aura reconnu ici un réflexe de pauvre, c’est-à-dire un réflexe qui exprime une pensée de pénurie au niveau affectif.
Quel homme peut dire à un autre : «Ma femme te désire. Prends-la»? Quelle femme peut faire une démarche envers une autre femme et lui dire : «J’ai remarqué que mon mari te désire. Tu es son type de femme. Pourquoi ne pas venir coucher avec nous ce soir?»
Nous devinons ici à quel point notre conception de l’amour nous appauvrit et nous rend incapable de renouvellement. Les vieux couples sclérosés en font les frais. Les ruptures sont douloureuses, les décès insupportables, la fin de vie abominable.
Il faudrait toujours penser à plus tard. C’est Platon qui disait : «Celui qui fait l’amour devrait aussi faire la théorie de l’amour.»
Alors, par où commencer? J’ai toujours tendance à suggérer à ceux qui viennent me consulter de faire ce que je fais dans ma propre vie. Je ne peux pas dire que ma façon de procéder vaut pour tout le monde. Je prétends seulement que lorsqu’on a échoué, on peut toujours essayer de voir si ma façon de faire est avantageuse.
Alors, pourquoi ne pas vous plonger dans le bain dès que l’occasion se présentera ? Vous êtes jaloux ? Foncez dans votre jalousie. Il n’y a rien comme de voir un autre homme faire l’amour à sa femme ou une autre femme baiser avec l’homme qu’on aime pour assouplir ses conceptions.
Nous sommes déplorablement rigides. Il nous faut apprendre la souplesse, l’ouverture, la générosité, le partage.
Commencez par le baiser. Embrassez-vous sur une piste de danse. Si quelqu’un vous regarde, invitez-le à venir vous embrasser ou à embrasser votre partenaire.
Ne prenez pas vos grands airs, ne songez pas à vous en aller ou à vous battre. Acceptez la présence d’autrui comme inévitable et rappelez-vous que si votre amour ne survit pas à cette expérience, il n’est ni très fort, ni très profond. De gros changements s’imposeront à nous dans l’avenir. Le coût de la vie, le gel des salaires, la diminution de la valeur de l’argent contribueront à rapprocher les gens. Deux personnes ne peuvent pratiquement plus vivre en s’isolant. Combien de jeunes, même accouplés, vivent encore chez leurs parents ! L’avenir n’est pas au couple, mais à la famille agrandie, au partnership amoureux ouvert… que dis-je ? à la tribu.